On connait l'homme de culture, de spectacle, le gars qui a roulé sa bosse dans les théâtres, et surtout, au Mac-Nab de Vierzon. On connait l'homme fin, aux traits d'humour et aux mots choisis, l'homme de conviction par qui le verbe sort toujours triomphant, l'homme d'initiatives qui cultive le spectacle vivant. Depuis sa retraite, pas tout à fait une retraite, le voilà qu'il publie. Son dernier ouvrage "Le recueil de mes bonnes feuilles" jalonne son existence à travers des textes qui lui tiennent à coeur. D'une pièce de théâtre à la conception d'une salle de spectacles. Le mieux, c'est de lui laisser la parole. Libre cours à Gilles Magréau !
C'est la retraite qui permet d'écrire des livres ou la plume qui n'a jamais cessé de démanger ?
Dans le recueil, seulement deux séries de textes ont été écrits après mon départ du Mac-Nab : les critiques littéraires et dramatiques, en 2010 et 2011, parues dans "La République Hebdo", et le récit du compagnonnage entre Léo Ferré et mon ami Alain Meilland, en 2012, à l'occasion de la création de "Léo de Hurlevent" en mars, dans le cadre de la saison culturelle "Neuvy-sur-Scènes". C'est donc bien la plume qui n'a cessé de me démanger depuis les années 1970, quand j'étais jeune comédien en Touraine. En fait, l'écriture est un peu mon oxygène, ma forme de communication la plus évidente...après la parole, bien entendu.
Ce recueil de mes bonnes feuilles, contient sept textes essentiels de votre vie. Sept, c'est un chiffre biblique ça, un rapport ?
Ma bonne vieille culture gréco-latine m'a rendu le chiffre 7 familier beaucoup plus que n'importe quelle religion révélée. Ce chiffre est une forme de plénitude tout en étant recherche de la vérité, de la sagesse. Sans tomber dans la pédanterie chère à Molière, la symbolique de ce chiffre est une piste vers l'équilibre dans la diversité : les couleurs de l'arc-en-ciel, les merveilles du monde, les branches du chandelier, les chacras... Bref, le nombre de textes figurant dans mon "recueil" n'est pas le fruit du hasard...bien qu'il me soit apparu seulement lorsque j'ai établi le sommaire de mon livre...Comme quoi...le naturel revient souvent au galop, n'est-ce pas?
Le projet de salle de spectacle, contenu dans le livre, c'était un rêve pour Vierzon ?
Incroyable mais vrai : en 1994, j'ai fait parvenir un dossier complet du STRAD, tel qu'il figure sans mon recueil, à Bruno Nion, alors patron du NTV, nouveau nom du Mac Nab dès 1990. Plusieurs contacts téléphoniques, à l'époque, attestaient l'intérêt porté par Nion à ce type d'équipement culturel. Il me parla même de le faire édifier face à la médiathèque de Vierzon, sur la place du Cirque National Amédée...! Puis vint le temps d'un silence assourdissant: plus aucune nouvelle. Les élections municipales approchaient, et ceci expliquait-t-il cela? On connaît la suite. Un audit du théâtre conduit par Alain Meilland, entraînant le départ de Nion au printemps 96, et ma nomination au poste de directeur en octobre de la même année. Et à mon arrivée, personne ne me parla d'une salle de spectacles en forme de violon...Cela dit, j'ai appliqué bon nombre des principes du STRAD dans la longue transformation du nouveau Mac-Nab, de 1998...à 2008.
On trouve aussi une pièce de théâtre en alexandrin, ce n'est pas un peu vieillot l'alexandrin ?
Peut-être certains vont-ils sourire, mais je suis persuadé que le public n'est pas méfiant vis-à-vie des alexandrins, au théâtre, en tout cas. Au contraire, il fait partie intégrante du fait dramatique...quand il est bien interprété, cela va sans dire. Quand j'avais une dizaine d'années, j'écoutais "Le Cid", avec Gérard Philipe, sur un disque Adès, enregistré au TNP. Et quand j'ai écouté "Lorenzaccio", avec le même acteur, enregistré dans le même théâtre, j'étais persuadé qu'il s'agissait d'un brouillon de pièce, puisque je n'entendais pas de texte rimé! Plus sérieusement, j'ai écrit, au départ, "Victor le Magnifique" sur un coup de colère: Disney avait tourné "Le Bossu de Notre-Dame", la comédie musicale "Notre-Dame de Paris" faisait un tabac à Paris, et je me disais que le public avait une image trop parcellaire de Victor Hugo, connu comme le poète aux cheveux blancs et "l'art d'être grand-père". Je me suis lancé dans l'écriture de la vie d'Hugo, en alexandrins avec rimes masculines et féminines alternées (clin d’œil au poète). Une anecdote? La pièce a failli être montée autour de Michel Le Royer (Hugo vieux) et Alexandre Brasseur (Hugo jeune), mais les emplois du temps des deux artistes n'ont jamais réussi à s'accorder...Affaire à suivre!
Plus sérieusement, le prochain livre est déjà écrit, en cours d'écriture ou en gestation ?
Les projets d'écriture ne manquent pas. Qu'on en juge : le deuxième tome de"Charly n° 7099" commence à voir le jour. Après "Famille d'écueils", voici venir "Aux marges du Palais". Il s'agit du Palais des Festivals de Cannes, assidûment fréquenté par Charles Oostenbroek durant les trente années passées au service du cinéma. Mille rencontres ont jalonné le parcours de celui qui, au début des années 80, a côtoyé l'univers du grand écran, ses joies, ses peines, ses déconvenues. Par ailleurs, un deuxième "Recueil" est déjà rédigé, essentiellement composé de pièces de théâtre inédites. Et je me garde en gestation "Les stars du Square" un roman situé dans le roman des années trente. Bref, copieux menu...
Vous serez au salon du livre de Vierzon le 17 novembre, c'est paradoxal un salon du livre sans librairie indépendante pour l'auteur et lecteur que vous êtes ?
C'est bien tout le problème attaché à la diffusion de l'écrit qui est posé ici, avec le désolant spectacle d'une librairie qui ferme. Il ne faut pas oublier que sans auteur, point de livre. L'écrivain se trouve au début du processus touchant à l'écrit, mais qu'il ne maîtrise pas du tout la suite, à savoir l'impression puis la diffusion de son oeuvre. Plus que jamais, de nouvelles formes sont à inventer pour faciliter la mise en relation de l'auteur avec le lecteur. Je suis convaincu qu'il faut se rapprocher du spectacle vivant, du cinéma, des médias, pour créer des rendez-vous, des rencontres : ceci permettra de briser le cercle magique de l'éditeur, des arcanes de l'univers des supers majors de la diffusion, de l'emprise tétanisante de la pieuvre Amazone. On en parle quand on veut,et aussi longtemps qu'on veut. Je suis disponible.
Vous aimez éclectisme, c'est quoi éclectisme façon Gilles Magréau ?
L'éclectisme est, à mes yeux, le fils naturel de la curiosité, le cousin de l'ouverture d'esprit, le farouche opposant à l'esprit de chapelle. Au fond, je ne me revendique pas romancier mais je m'affirme écrivain multicartes. Il m'arrive parfois de trousser 40 vers pour un anniversaire de mariage. L'an passé...80 vers contant la vie de ma belle-mère pour ses quatre-vingts ans. Je m'amuse à écrire un discours, une présentation d'exposition...L'écrit est un peu mon carburant, totalement décarboné d'ailleurs, à utiliser sans modération. Un temps, j'ai regretté de ne pas avoir écrit plus tôt; puis je me suis aperçu que l'expérience de mes multiples activités servait de terreau à mon écriture, tout en élargissant mon espace de liberté car, je l'affirme, ce n'est pas le travail, c'est l'écriture qui rend libre. Allez, à vous les studios, à vous Cognacq-Jay!