Je ne peux pas m'empêcher d'admirer cette photo, non pas pour crier "c'était mieux avant", car non, tout n'était pas mieux avant, mais pour pouvoir plonger dans le bain de cette époque, pour se mêler à la foule, traverser devant la Dauphine, pointer du doigt la Traction, remonter la rue de la République dans la respiration de l'instant. Pourquoi cet effet d'intense désir ne s'entortille-t-il pas autour de moi quand je grimpe la rue devenue, sans changer de dimension, une avenue ? Parce que Vierzon devait posséder une avenue aussi étroite d'une rue...
Dans le décor du Vierzon actuel, il manque quelque chose, quelque chose qui n'est pas forcément concret, non, un air du temps, une ambiance, un déroulement du temps qui ferait oublier ce que Vierzon fût pour ce que Vierzon est. Mais voilà. Vierzon est ce qu'elle est, et impossible, impossible d'affirmer qu'on peut s'en contenter ainsi. Un tel discours ne découle que d'un déni, une dévotion partisane, une volonté délibérée de ne pas être objectif au nom d'une cause.
Qu'est-ce qui me fait admirer cette photo ? Qu'est-ce qui me transporte à tout prix ? Si le présent avait de quoi nourrir ma satisfaction et mes propres rêves, sans doute que cette photo serait superflue, une image supplémentaire du Vierzon d'hier parmi d'autres images du Vierzon d'hier ? Mais pourquoi n'est-elle pas superflue ? Pourquoi cette image, fruit d'une époque, montre-t-elle le meilleur d'elle-même ? Pourquoi supplante-t-elle le Vierzon d'aujourd'hui ?
C'est toute la question qui se pose. Il ne s'agit pas d'une nostalgie mal placée, de cette nostalgie qui proscrit le présent au profit du passé, non, il s'agit de constater que le présent de cette ville n'est jamais parvenu à supplanter son passé, il n'a jamais pu se hisser à sa hauteur et en faire oublier les tenants et les aboutissants. Si cette ville s'était modernisée, si elle avait su se hisser d'égale à égale avec les prétentions qu'exige notre époque, sans aucun doute que cette image ne m'arracherait qu'un sourire et que, très vite, le même lieu aujourd'hui m'en arracherait un autre, un autre de satisfaction.
Mais cette ville a toujours oscillé entre le désir d'être différente et d'être la même, différente parce que la modernité l'y a obligé, la même parce d'obscures contingences intellectuelles ont jugé qu'elle n'avait pas finalement besoin de s'élever, besoin de changer, car finalement, tourné vers l'intérieur d'elle-même. Et paradoxalement, cette ville entretient un étrange lien avec son passé, avec son patrimoine.
Du moins, cette ville a-t-elle une mémoire sélective où il existerait ainsi, un passé honorable et un autre beaucoup moins, une impression basée sur des réalités objectives que l'on constate chaque jour.
D'autres images du Vierzon d'hier m'arrachent de l'admiration, et suscitent chez beaucoup d'autres ce même sentiment singulier, pris entre l'envie de revenir en arrière et pourtant, entre le désir ardent d'avancer plus vite que l'on avance aujourd'hui. Car si la situation continue, le présent de cette ville se fera rattraper par son passé, ce qui est déjà le cas dans certains cas.
Cette image est pourtant d'une éblouissante réalité car en fin de compte, gommez les voitures, gommez les gens, il restera les mêmes lignes de fuite, la même perspective transposable à l'infini. Hier, maintenant, rien ne change ou presque.
R.B.