Il tombe une drôle de soif sur la sous-préfecture tranquille. En pluies de gorges sèches. En averses déshydratées. Voici venu le temps des phrases atypiques. Les mots n'ont plus leur raison d'être. Ils ne sont plus les mots qui pleuvent dehors. Ils ne sont plus ceux-là qui, d'ordinaire étalent leur sens de l'à-propos d'une unique manière, sans distordre leur définition.
"Et la sous-préfecture fête la sous-préfète. "
Ils n'ont plus la droiture de leur académisme. les voilà faits, ces mots, d'une étrange traversée, d'un curieux paradoxe, au service d'une différente nécessité que celle, stricte, d'être le reflet parfait de la pensée qui m'encercle.
"Il pleut des orangeades et des champagnes tièdes."
Ce soir, les mots sont d'une autre planète, d'une autre pesanteur, écrits pour devenir l'harmonie introuvable qu'ils portent tous en eux, sans en avoir conscience. Ils courent comme des fous dans les rues de ma sous-préfecture et dégringolent, leurs bruits de casseroles, jusqu'au fond des cafés animés d'une puissante passion.
Je fais la tournée de tous les soirs d'été, pendus comme des mots à des lèvres dociles. Lentement, dans la ville, la nouvelle se répand. Ce soir, les mots sont la buée de la chaleur humaine : le liquide nomade qui transite des bouteilles aux verres, des verres aux gosiers, des gosiers aux braguettes, des braguettes aux cuvettes, des cuvettes aux conduites, des conduites aux... fleuves.Les mots, ce sont les évidences frappées au coin des propos spontanés : ce sont d'imparables vérités qui explosent à la lumière. Ce sont de délicieuses contradictions que n'égalent aucune figure de style.
"La chaleur se vertèbre, il fleuve des ivresses."
Ce soir, les mots collent aux vitres, aux murs, au sol, au plafond, aux doigts, à la raison. Ce soir, dans le périmètre rétréci du comptoir, les mots ont perdu le contact avec la terre. Il faut prendre du recul, il faut savoir regarder de haut, faire abstraction de toutes les formes qui existent pour voir dans ces mots-là, la finesse de leur partition.
"C'est l'heure où les bretelles soutiennent le présent."
Et quand la lumière se prend les pieds dans le tapis, quand l'heure tardive dépose la nécessité de mettre tout le monde dehors, quand le soleil aux rayons d'alcool s'est dissous dans le trop-plein, quand il faut fermer pour pouvoir rouvrir demain, les mots deviennent généreux.
Sais-tu combien j'ai du attendre aux portes ouvertes pour en saisir de lourds, les hisser sur le rivage et repartir avec, plus homme que le précédent ?
Voici venu le temps des phrases atypiques, des phrases d'un continent échappé des limites. C'est l'heure de fermer, de passer le balai dans les jambes de ceux qui sont enracinés. C'est l'heure où les mots se dilatent. Comme les artères de la syntaxe. Pour définir d'autres priorités. D'autres circonstances plus favorables. Ce soir, la ville se marie à elle-même et se donne la chance de pouvoir exister dans les mots des autres. Avec infiniment de désir instruit. Et de désir parfait.
Sais-tu combien les toits, les trottoirs et les rues, les ombres effilochées sur des murs sans fenêtres, sais-tu combien le ciel gras des automnes fluviaux ont transpiré des mots que tu leurs as offert ? Ce soir, c'est l'heure d'admettre la vérité. L'heure de se regarder en face.
Les issues sont béantes et la chaleur s'étale comme un liquide sans gêne. J'entends de par l'air lent se poser tes paroles, se hisser ta musique, se transpirer ta voix. La ville aux quatre vents clignote le remords et cette sous-préfecture se rêve en capitale mais sans vraiment y croire. C'est l'heure où dans une communion frappante, ta chanson tombe en crue sur la ville tranquille.
"Allez, chauffe, Marcel, chauffe."
De toute façon, maintenant, nous ne serons plus une ville comme une autre. Ni une sous-préfecture tout à fait ordinaire. Certains posent le pied quelque part pour y être chez eux. D'autres posent une chanson qui sert alors d'air pur, de paysages et d'histoire.
"T'as voulu voir Vierzon."
Et on t'a rencontré. Tu es un soir d'été dans ma sous-préfecture.