Djamila Kaoues, citoyenne, élue de Vierzon et militante écologiste a décidé de poser son regard sur le confinement que nous vivons. Nous publions sont deuxième billet.
11 - Notre Mektoub commun
Au terme de cette série de billets, je vous dois une confidence. Quand tout a commencé, quand il a été question de confinement, je me suis plainte, et me suis regardé le nombril. J’ai pensé avec agacement à ces livres que je n’allais pas pouvoir emprunter à la médiathèque, à ces chouettes films que je n’allais pas pouvoir aller voir au cinéma, à ces voyages que je me réjouissais de faire et qui ne se feraient pas, à ces cours de zumba dont j’allais être privée.
Et puis, face à mes écrans, au gré des chiffres qui ne cessaient de croître, ceux des morts, des malades, de plus en plus jeunes et pour certains, sans comorbidités connues... la réalité du drame collectif que nous vivions m’a explosé en plein visage. Alors, je me suis extraite de mon petit monde pour rejoindre ceux des autres. Au moins en pensée.
Ce confinement a aussi été l’occasion de repenser mes valeurs, de réévaluer mes priorités, de réinvestir mes engagements dans l’humanitaire, la politique, l’écologie, auprès des miens, tout cela à la fois. Dans cette société de consommation et du paraître qui nous happe, prenons-nous seulement le temps ? Le temps de (nous) regarder, de contempler ce qui est, au-delà des apparences et des attendus, d’écouter plus que de se faire entendre, de tendre la main, de vivre tout simplement ?
Quelles relations ai-je avec mon entourage ? Avec la nature ? Avec le monde dans lequel je vis ? Quelle relation avec le temps ? Et qu’en sera-t-il après...après la bataille contre le COVID-19 ? Le temps est venu de repenser ces notions et définitions toutes faites, que l’on croyait à peu près stabilisées, dans le paysage mental que l’on s’était constitué et à l’aune duquel, nous observions le monde : la mondialisation (et les avatars de la délocalisation), l’Europe (quelles frontières font sens quand l’Italie est secourue par la Chine et Cuba ?), la modernité (peut-on être moderne et sacrifier nos anciens en bonne conscience ?), les nouvelles technologies (quelle proximité ou distance donnent-elles à vivre ?).
C’est le défi que je me propose et vous propose de saisir, chiche ! Repenser notre mektoub à tous. Parce que, s'il est une leçon que la pandémie que nous vivons nous enseigne, c'est que nos vies comme nos destins sont entremêlés. Il ne tient qu'à nous d'en tirer les conséquences pour que, de ce drame immense, un monde meilleur advienne.
Djamila KAOUES
10 - Prospectives
Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Force est de
constater que la voie que nous avons empruntée jusqu’à aujourd’hui est sans issue. Cette situation dramatique révèle plusieurs phénomènes imbriqués, d’inégale gravité. On ne saurait, si l’on prétend souscrire à des valeurs élevées, de portée universelle, demeurer indifférents face à la situation des migrants (qui se révèlent fort utiles aujourd’hui quand il est question de participer à des récoltes que nos concitoyens confinés ne font plus) et ne pas nous interroger sur les raisons de leur déracinement, car de fait, nous sommes de plus en plus confrontés au phénomène des réfugiés climatiques. Ces migrants qui ont transformé la Méditerranée en cimetière sont l’illustration la plus tragique de l’accroissement spectaculaire des inégalités à l’échelle mondiale. Si nous voulons donner un sens à la catastrophe que nous traversons actuellement, avec son bilan chaque jour plus élevé de victimes, analysons, alors, ses ressorts les plus fondamentaux.
Que cela soit l’occasion de réfléchir aux sources des maladies zoonotiques, à l’usage littéralement contre-nature qui est fait de certaines espèces animales, notamment forestières, qui ne sauraient constituer une source pour l’alimentation humaine, fût-ce à titre de mets exotiques. Que cette tragédie soit l’occasion de contrer les inégalités qui s’accroissent partout dans le monde, de penser les bases d’une véritable sécurité alimentaire et les ressorts profonds des
épidémies auxquelles nous sommes confrontés. On ne saurait, désormais, penser la modernité sans l’écologie et prétendre minimiser les conséquences plus que délétères du réchauffement climatique. Dès lors, on saisit que l’affaiblissement continu du système immunitaire chez les plus faibles parmi nous, qui prédisposent à diverses maladies et à des décès prématurés, est en lien étroit avec la pollution atmosphérique. Et à tous les climato-sceptiques qui s’acharnent à nier l’évidence, rappelons que le déboisement commence par l’abattage des arbres et aboutit à celui de nos barrières sanitaires.
Au fil de ces trois semaines de repli contraint, j’ai lu çà et là des témoignages au ton acide provenant de Gaza, où le désespoir le dispute à l’amertume, leurs auteurs rappelant que le confinement dont certains d’entre nous se plaignent à grand bruit sur les réseaux sociaux, constitue leur quotidien depuis...12 ans. Dans des conditions autrement plus désespérantes, oserai-je ajouter. J’ai parcouru, également, des articles tout autant déprimants, relatant le quotidien d’individus, souvent en Afrique et en Asie, subissant le confinement et les préconisations associées -de distanciation et de lavage de mains soigneux-, qui, pour le coup sonnent tragiquement -ou ridiculement- chez des personnes qui vivent à 10 dans une même pièce, sans eau ni savon et parfois sans électricité.
Il ne s’agit pas de brandir ces exemples tragiques pour prétendre faire
apparaître notre sort, comme enviable, par comparaison. Là n’est pas mon propos. Il s’agit plutôt d’affirmer, par ces exemples pris aux quatre coins du monde, que nos destins sont étroitement liés, pour le meilleur et le pire. Le mieux alors, serait de penser cette communauté de destins en termes de solidarité, non ? Repenser le monde en mode écolo, dans le respect de la Terre et de la biodiversité, prendre conscience de la magnificence de la nature et s’engager à la préserver, à la hauteur de nos moyens, cela est à la portée de chacun d’entre nous.
À chaque saison qui s’annonce, l’arbre joue une part essentielle dans le cycle de la nature, nourrissant les sols, alimenté par eux. Avec le coronavirus, on se surprend à craindre l’essoufflement, signe clinique indéniable d’une aggravation de la maladie. C’est là l’occasion de rappeler que de préserver l’oxygène, synonyme de vie, exige de s’extraire de la domination des pesticides pour préserver notre biodiversité. Enfant, on s’est tous un jour extasié du battement d’ailes d’un papillon, de l’envolée d’une coccinelle, de la délicate beauté d’un coquelicot et, le plus souvent par écran de télévision interposé, du spectacle édifiant d’animaux sauvages demeurés dans leurs lieux de vie naturels.
Il n’est pas trop tard pour nous reconnecter avec nos sentiments d’alors, et de prendre le parti de sauvegarder ce qui peut l’être encore, en participant, pour ce faire, à des actions en défense des intérêts de l’agriculture et des agriculteurs. Se passer des pesticides, c’est retrouver le goût des saveurs d’antan dans nos assiettes, c’est permettre à chacun de part le monde, où qu’il se trouve, d’apprécier les parfums et goûts authentiques d’un fruit ou d’un légume, non altérés par quelque additif chimique. On se saurait participer à ce renouveau nécessaire sans modifier certaines de nos habitudes : consommation débridée, tourisme effréné etc.
Nous avons tous notre part à prendre, à des degrés divers, dans cette fondation d’un monde nouveau, pour un enrichissement mutuel, contre les inégalités multiformes dans divers domaines : l’éducation, le logement, l’accès à l’eau, à la nourriture et aux droits humains fondamentaux. Il suffit pour cela de repenser ses manières de consommer et d’être-au- monde, et concrètement, de s’impliquer dans ou diverses associations, comme une manière de s’intégrer à une grande chaîne de solidarité humaine. En somme, être acteur de cette transition écologique et œuvrer pour un monde plus juste, plus vert, plus solidaire, plus résilient et respectueux du vivant dans son ensemble, cela revient ni plus ni moins à se reconnecter avec son moi profond, dans la mesure où chacun d’entre nous constitue, en définitive, un maillon de la grande chaîne de la vie.
Djamila KAOUES
9 - L’Éveil des consciences, la condition du changement
C’est parce que, à force d’aveuglement et d’arrogance, nombre de nos dirigeants présents et passés, ont perdu de vue certaines évidences, que la réalité s’est imposée à nous. Et c’est, comme l’a fort bien dit la sénatrice Esther Benbassa dans un tweet récent, un pistolet sur la tempe que nos dirigeants en ont finalement convenu...du bout des lèvres, certes, et sans que l’on ne puisse être assurés, pour l’heure, qu’ils en tireront réellement et concrètement les conséquences, dans un proche avenir.
En attendant, nous avons toutes et tous notre part à prendre dans cette entreprise nécessaire. Changer le monde, bigre ! L’exprimer en ces mots peut laisser croire la tâche impossible pour de simples citoyens. Rien n’est moins sûr. Car il n’est pas utile de s’impliquer, comme militant politique, pour avoir son mot à dire. Nous devrions, toutes et tous, participer à cette assemblée symbolique, selon nos possibilités, pour réinventer un monde plus juste, un avenir plus sobre, et respectueux de toutes les formes de vie. Les objets de cette mobilisation sont pluriels et d’égale importance : lutter pour le respect du vivant, c’est aussi agir pour une consommation responsable, pour des politiques sanitaires plus saines, la relocalisation de certaines entreprises, un déploiement des énergies renouvelables, la protection de nos sols, de nos forêts et de nos océans, la révision de nos modes de production industrielle et de nos déplacements, mais aussi de notre (sur)consommation, toutes choses qui participent de l’inégale répartition des ressources de notre planète.
Ainsi, plutôt qu’une complainte désespérée ou un constat amer de notre impuissance, je plaide pour une participation collective au monde de demain, celui de l’après coronavirus. Je décline la couleur Verte triplement, comme un symbole du printemps, du réveil de la Nature et d’une nécessaire réforme de nos styles de vie. Vert comme l’écologie : une écologie populaire, qui appartient à tous et qui défend tout un chacun. Celle que je défendais hier et que j’ai, plu que jamais, à cœur de soutenir.
Pour les sceptiques, ceux qui considèrent - à tort, à mon avis- qu’ils ne sauraient prendre part à une telle œuvre, même s’ils pensent ce renouveau nécessaire, une mission qu’ils estiment écrasante et du seul ressort des élites : j’aimerais vous convaincre, à tout le moins vous faire entendre la possibilité que cela n’est pas le cas. Bien sûr, nos dirigeants politiques et les grands patrons d’entreprises ont une responsabilité majeure dans les niveaux toujours plus critiques de pollution atmosphérique que nous connaissons, dans la mesure où ils soutiennent des modes de production peu soucieux d’écologie. Mais je vous suggère de réfléchir un instant à vos choix de vie et aux rêves et espoirs que vous nourrissez, particulièrement en cette période de
confinement. Actuellement, nous sommes nombreux à rêver d’un espace de vie plus étendu, comprenant si possible de la verdure, une maison (dans la prairie ?) mais, si vous me permettez la métaphore, il ne nous suffira pas de peindre nos volets en vert pour modifier la donne, à moins de se contenter d’un changement de façade. Et depuis Paris, capitale économique, c’est plus d’un million de nos concitoyens qui ont littéralement fui l'exiguïté de leurs lieux de vie, pour des résidences secondaires, de préférence situées en bord de mer ou en campagne.
Comme je vous le disais, nous avons tous notre part à prendre dans les changements à venir. Les associations locales ou celles tournées vers l’international jouent un rôle majeur sur le plan de la solidarité. Face à la pandémie, notre ville, Vierzon, comme de nombreuses autres, a été le théâtre d’un formidable élan de solidarité. Des associations vierzonnaises se sont mobilisées, notamment en soutien des soignants et des plus fragiles : dons de masques à des médecins par des
particuliers, confection de masques par de nombreux Vierzonnais, appels téléphoniques à des personnes isolées, aide aux courses, courriers envoyés aux Ehpad, une remarquable chaîne de solidarité a vu le jour.
J’en profite ainsi pour saluer leur remarquable contribution. De façon plus pérenne et, à défaut de pallier totalement l’incurie de nos dirigeants, nous pouvons, tous ensemble, et à notre échelle, contribuer à une transition porteuse de plus de justice, faire des choix de vie qui participeront à l’avènement d’un monde plus solidaire, plus fraternel et plus égalitaire. Un monde où nous pourrions vivre en harmonie les uns avec les autres et que nous pourrions léguer à nos enfants, en toute quiétude.
Djamila KAOUES
8 - Repenser notre « être » au Monde
Je crois, plus sûrement, en un sursaut possible chez le citoyen, chez vous, comme chez moi. Qu’est-ce qu’un citoyen, au fait ? Plus que le membre indéfini d’une communauté politique, si je devais (re)définir la notion de citoyen -et la pandémie que nous vivons m’y oblige- je la rapprocherais de celle de l’écologiste. Il ne s’agit pas forcément de se penser en militant investi sur la scène politique -tout le monde ne s’y plairait pas- mais en individu intéressé par le Vivant, au sens large du mot. Car, à bien y regarder, pour tous les citoyens du monde qui partagent cette expérience si singulière du confinement -et les sentiments qui s’y rattachent forcément, en premier lieu, la peur de la mort pour soi et les siens- le temps des questionnements existentiels est venu. Alors que bien des économies sont à l’arrêt, ce à quoi, même les plus ardents défenseurs du libéralisme à tout crin ont dû se résoudre, nous apparaît à tous, de Séoul à Paris, en passant par Alger et New-York, la valeur incommensurable de la vie.
Être écologiste se résume, à mon sens, précisément à cela : saisir que la terre est indissociable de l’homme qui l’habite, et que préserver la nature, c’est se protéger soi-même. C’est comprendre que les ressources de la planète ne sont pas inépuisables et qu’un monde où il ferait bon vivre ne pourra advenir sans partage des richesses. C’est reconnaître qu’une économie plus verte doit être nécessairement et mûrement pensée puis mise en œuvre.
C’est convenir que le progrès civilisationnel ne se mesure pas en termes de fortunes amassées ou de résultats économiques en monnaie sonnante et trébuchante, mais plutôt en termes d’équité, de solidarité, de fraternité. Ainsi, plutôt que de s’échiner à donner raison, voire à dépasser en gravité, les pires prédictions sur le réchauffement climatique et les désastres qu’il annonce, nos gouvernants doivent urgemment repenser leur modèle économique et social qui génère nombre d’inégalités, elles-mêmes fruits d’un gaspillage sans frein des ressources naturelles.
C’est accepter, aussi, que l’on ne peut prétendre à la modernité dès lors que l’on piétine avec constance les droits humains fondamentaux, en termes d’éducation, d’alimentation et de santé. Or, la faillite organisée de l’hôpital public, sa casse systématique, à coups de coupes budgétaires, de diminutions massives de lits et de postes, nous a conduit directement à la situation actuelle.
Être écologiste, c’est admettre, finalement, que le vivant prime sur le non vivant et la recherche effrénée de la compétitivité. Que la quête sans limites de profits a des coûts et qu’un jour ou un autre, il faut passer à l’addition. Il semble que ce jour soit venu.
Djamila KAOUES
7 - Le poids de l’incertitude
Nous sommes aujourd’hui, en ce mercredi 15 avril 2020, en pleine période de confinement. Mon moral n’est pas toujours au beau fixe, il fluctue, comme la météo. Pour autant, j’essaie de penser à l’après, à ma vie après le confinement. Demain ressemblera t-il à hier ? Une fois le choc de cette pandémie derrière nous, aurons-nous le réflexe de reprendre notre vie là où nous l’avons laissée ? Serons-nous tous amnésiques, comme désireux de rester hors du temps ? Ou plutôt, allons-nous cesser de nous mentir et affronter enfin la réalité, en dépit de ses aspects peu reluisants ?
Comme moi, vous vous êtes sans doute entendu répéter, comme une antienne, certaines préconisations, parmi lesquelles la nécessaire « distanciation sociale ». Cette expression ne laisse pas de m’interpeller. De quelle distanciation sociale parlons-nous ? Prise dans son sens le plus immédiat, l’expression nous renvoie, évidemment, à la nécessaire distance physique qu’il nous faut préserver avec autrui (1 mètre ou 2 selon les spécialistes) pour éviter de nous contaminer mutuellement. Voyez-vous, j’ai été, ces dernières semaines, envahie par un sentiment persistant : celui que la perception même que je me suis forgée de mon
pays, de ses institutions et dirigeants, allait être transformée à jamais. Ce sentiment se double d’une impression douloureuse : celle d’une illusion auto-alimentée d’une France forte, puissante, aux fondations solides : au plan économique, institutionnel, moral, et sur bien des aspects encore.
Ne sommes-nous pas la 6e puissance économique mondiale ? Une démocratie, certes imparfaite, construite au long d’une histoire mouvementée, mais que nous envient des millions d’autres êtres humains ? Un pays, à juste titre fier de ses conquêtes sociales, obtenues de haute lutte, et sur plusieurs fronts, droits des ouvriers, des femmes, des enfants, des handicapés, et bien d’autres. Mais, avec cette pandémie et ces milliers de morts, tout se passe comme si un rideau de
fumée se dissipait pour donner à voir une vérité bien plus contrastée.
Parlons donc distance sociale : je n’ai certes pas attendu de me trouver confrontée à cette crise terrible pour saisir que la proximité entre les politiques et le peuple tenait en grande part d’une illusion. C’est d’ailleurs bien là aussi, en grande part, que réside le sens de mon engagement. Mais je ne vous dirais pas ici : « je le savais », ou « je vous l’avais dit ». En réalité, je ne m’imaginais pas l’ampleur de cette distance. Ce n’est
plus un fossé, c’est un monde qui nous sépare, nous, les citoyens français, lambda, de nos gouvernants. Et malgré la force de l’incertitude, qui, comme l’affirme à juste titre le philosophe Edgar Morin, est, somme toute, le lot banal de toute existence humaine, j’ai envie de nourrir l’espoir. Celui d’une brutale prise de conscience de nos élites politiques, qui pourraient, en partie au moins, abandonner leurs vieilles antiennes scandées à longueur de monologues, pour affronter la réalité sociale telle qu’elle est, dans sa féroce nudité.
J’ose émettre l’espoir que cette catastrophe sanitaire, avec son terrible bilan en vies humaines, permettra le début de commencement d’une réflexion profonde sur ses ressorts, et la nécessité de repenser profondément notre société. Cet effort, seul, nous le savons, permettrait de (r)établir un début de confiance des populations traumatisées et plus que défiantes (en particulier, les soignants, en première ligne) envers leurs élites politiques. Cela doit passer par des réformes significatives de la gestion des services publics, piétinés depuis des décennies. Cet espoir, je l’avoue, est aussi, régulièrement, traversé de doutes.
Djamila KAOUES
6 - Quand confinement rime avec aveuglement, nos enfants trinquent !
Troisième partie
Et pourtant, qu’on me permette de rappeler, ce qui devrait tenir d’une banalité : notre travail consiste ni plus ni moins à participer à forger, chez nos enfants, les esprits des citoyens de demain. L’école de la confiance suppose dès lors de contribuer à apporter plus d’équité à tous nos élèves. Pour être honnête, j’ai toujours considéré avec méfiance cette fameuse « égalité des chances » qui n’a d’égalité que le nom. Je préfère parler d’égalité « des possibles » tant il est vrai que, dans la France d’aujourd’hui, les inégalités sont massives, elles sont la norme. Toi le prof, saisis-toi de cette patate chaude, et fais pour le mieux.
Le confinement révèle, au final, ce que nous, profs, faisons remarquer obstinément de fort longue date. Pour que chaque enfant de la République reçoive l’éducation qu’il mérite, il convient que nous tenions compte de ses spécificités , de son mode de vie, de ses éventuels handicaps, de ce qui, dans sa vie, facilite ou constitue un frein à l’acquisition de compétences. Or, le confinement et l’évocation nonchalante, par nos dirigeants politiques, des « cours à distance » comme si c’était une évidence, via la fameuse tablette dont on ne sait même pas si elle existe, tient, souvent, d’une triste pantalonnade.
C’est cela, sans doute, qui explique, le contenu d’une lettre presque désespérée de la Fédération des parents d’élèves au ministre de l’éducation nationale, qu’elle implore de cesser de faire comme si, et de mettre un terme à cette pseudo éducation à distance, et de permettre aux enfants, à la reprise, de continuer au point où ils s’étaient arrêtés, avant la fermeture des écoles. En disant cela, je ne prétends pas soutenir une posture fataliste ou de découragement. Si tel était le cas, il y a belle lurette que j’aurais abandonné ce job que j’aime tant et qui se révèle si passionnant, en même temps que moralement et physiquement, si exigeant. Je tire simplement les conclusions de près de 20 ans d’expérience dans l’enseignement.
En notre qualité d’enseignants, nous avons attendu, en vain jusqu’à présent, que notre gouvernement nous donne les moyens de lutter contre les inégalités plutôt que de contribuer à les creuser, afin que nous puissions exprimer pleinement notre vocation, participer à l’édification et à l’épanouissement de ces adultes en devenir dont nous tenons littéralement l’avenir entre nos mains. 20 ans, ça compte un peu, non ? On pourrait songer que le gouvernement serait sensible à mon expérience, comme à celle de centaines de milliers d’enseignants, et de parents. Je ne désespère pas qu’il puisse retirer ses œillères : oui, non ? Laissez-moi rêver !
Djamila KAOUES
5 - Quand confinement rime avec aveuglement, nos enfants trinquent !
Seconde partie.
J’enseigne le français, pas l’informatique. Les ratés peuvent être quotidiens, les coupures d’accès à Internet qu’on ne sait pas rétablir...quand accès il y a. Alors même qu’il est si difficile de maintenir l’attention des élèves, ces multiples petits incidents achèvent de décourager les moins bien lotis.
Que dire de ceux qui vivent dans un espace restreint avec leurs parents, lesquels ne parlent pas forcément français et lorsque c’est le cas, ne sont pas toujours en mesure d’accompagner les efforts laborieux de leurs enfants. De la tension qui naît quasi automatiquement de la situation de confinement, ce qui n’enlève rien à l’amour des parents pour leurs enfants, et réciproquement.
Soyons sérieux. Pense-t-on vraiment que cet élève qui n’avait pas pu, faute de moyens, acheter le dernier roman étudié ou pas assez de feuilles doubles pour rédiger sa rédaction se soit muni soudainement et par des moyens venus d’on ne sait-où, d’un ordinateur dernier cri (ou d’un ordinateur juste en état de fonctionner) ? Comme souvent, il existe un gouffre entre les déclarations (auto)satisfaites de nos autorités politiques et la réalité concrète que l’on constate chaque jour et face à laquelle on doit vraiment lutter pour ne pas céder au découragement.
Même lorsque les conditions matérielles minimales sont réunies, est-on certain qu’un adulte bienveillant et disponible peut s’assurer que le travail est convenablement effectué ? Avec toute la bonne volonté du monde, le parent en télétravail ne peut se dédoubler, ayant déjà sa part de boulot et de stress, et ne peut, décemment, effectuer en partie le nôtre (en plus de celui, éventuellement, de la crèche ou de la garderie). Il n’est pas certain qu’il soit dans les meilleures dispositions pour accompagner son enfant dans cette situation bien particulière d’apprentissage, qui nous, enseignants, nous dépasse déjà.
Ne nous cachons pas la réalité. Bien sûr, l’élève qui, déjà, prenait des cours particuliers (et c’est tant mieux pour lui) pourra certainement continuer à en bénéficier. Son copain, dont les parents ne sont ni en mesure de l’aider par leurs propres moyens ni de faire appel à des professionnels, est évidemment bien moins loti. Le confinement est comme un miroir grossissant des failles et limites de notre modèle de société. Les conditions même de son avènement, l’effondrement de notre système de santé qu’il donne crûment à voir, jettent une lumière crue sur les défaillances de notre société, en bien des aspects.
De cela découle la difficulté à rendre concrètes les fameuses valeurs de la République, affichées avec tant d’ostentation, sur les murs de nos écoles, quand bien même nous y serions furieusement attachés.
L’éducation, on le sait, constitue , avec la santé, une priorité dans toute démocratie digne de ce nom. Hélas, depuis des années déjà, de mesures incomplètes ou inopérantes en coupes budgétaires drastiques, sans omettre le gel d’indice des salaires, la diminution franche de notre pouvoir d’achat, etc, les moyens nous manquent cruellement pour servir le beau projet qui pourtant, préside au choix de notre profession. Donner les moyens - matériels, humains- d’enseigner, passe nécessairement par la reconnaissance réelle de notre profession, celle de centaines de milliers de profs qui s’échinent à porter, à bout de bras, et depuis trop longtemps, un système à bout de forces. Le confinement, finalement, met au jour, avec une cruelle franchise, tout cela, au-delà des bons mots, des promesses jamais tenues, des calculs politiciens, et des instrumentalisations faciles.
Djamila KAOUES
4 - Quand confinement rime avec aveuglement, nos enfants trinquent !
Première partie.
Enseigner est certainement l’un des plus beaux métiers au monde. En cette période si particulière, je dois admettre que, même si mes conditions habituelles de travail sont difficiles, la présence de mes élèves me manque. Et même si mes journées de prof ressemblent fréquemment à des rencontres sportives harassantes, c’est cette volonté de transmettre et de participer à l’éducation de l’enfant, qui continue de m’animer, et me pousse avec des centaines de milliers d’autres collègues, à être sur le pont, jour après jour.
Car, au fond, quelle mission plus noble que celle qui consiste à participer à forger la personnalité d’un enfant ou d’un adolescent, adulte en devenir, au fil des mois, des années. En plus de la discipline dispensée, nous transmettons des valeurs, respect, diversité, tolérance, etc. Cela n’est pas un long fleuve tranquille, certes. Loin s’en faut, parfois. Et on a aussi notre lot de galères. Mais on s’accroche toujours et encore à ce beau projet et on se dit, au final, que notre vie pro, du fait des valeurs qui la portent, est plutôt enviable.
Sauf que... si nous nous efforçons de traiter avec équité ces chères têtes blondes et brunes, sans trahir l’éthique de notre profession, force est de constater que les élèves, eux, ne viennent pas en classe avec les mêmes facilités, chances et dispositions. La situation sociale des parents y joue tellement. Les conditions de travail à la maison, soutien parental ou pas, espace d’intimité ou pas, calme ou tempête, cela influe tant sur les possibilités des enfants à qui l’on s’efforce d’inculquer quelques connaissances.
Mais tout cela me direz-vous, a été déjà fort bien analysé par des sociologues spécialistes de l’éducation, comme François Dubet et bien
d’autres ! En somme, nous n’avons pas attendu le confinement pour savoir que les inégalités existent et qu’elles interfèrent grandement avec le quotidien de nos enfants, participant à creuser le fossé entre eux. Inégalités qui induisent des disparités pour la compréhension des cours, la motivation et les chances de réussite, in fine.
Mais aujourd’hui, tout cela prend un sens tout particulier, en période de confinement. Le présentiel nous permet, à tout le moins de tenter de colmater, certes imparfaitement, les brèches. Confinement oblige, nous passons aux cours en ligne. Pas facile d’expliquer un cours de français, d’étudier un texte de Maupassant, un poème de Victor Hugo derrière un écran. Ou de lire, par écran interposé, un texte de Pierre Rabhi, pour expliquer à nos chers enfants que nous ne leur laissons pas un monde des plus sains, évoquer la transition écologique dont ce fichu virus rappelle la tragique nécessité. Mais il semble que, vivant une expérience extraordinaire que nous adultes, nous n’avons jamais connue à leur âge, ils soient placés, plus que jamais en situation de comprendre la gravité de la situation. Toutefois, au-delà de cette saisie intuitive si spécifique aux enfants, quel que soit du reste leur niveau, il est des manières d’éduquer qu’un écran ne saurait rendre possible.
En classe, on travaille nécessairement en interactivité avec les élèves ; on prend le temps, à chaque fois que possible, d’adapter ses outils, son phrasé, sa manière d’expliquer, à chacun. Parce que les rythmes diffèrent, parce que la compréhension n’est pas aussi aisée chez l’un que chez l’autre, sur tel sujet ou sur tel autre, parce que même avec un dictionnaire, on ne parvient pas toujours à comprendre le sens d’un mot. Parce qu’on sait que tel élève doit bénéficier d’un texte à trou pour pallier sa dyslexie, tel autre au dernier rang a besoin de ce regard bienveillant ou de cette petite phrase valorisante, parce que celle au premier rang papillonne dès le premier quart d’heure passé et qu’il faut veiller à accrocher son regard, au vol.
Comment faire tout cela, derrière un écran ? Et d’ailleurs, quid des conditions matérielles de l’interaction? Est-ce que tous bénéficient de la fameuse tablette ou de l’ordinateur pour recevoir les cours, les exercices, pour échanger avec l’enseignant ?
Djamila KAOUES
3 - Entre soi et les autres
Finalement, nous nous en doutons, cette pandémie du Covid-19, pour terrible qu’elle soit, sera un jour (proche, espérons-le), derrière nous. Laissant la place à d’autres sujets, d’autres crises, d’autres thèmes, à la une de l’actualité. Dès lors, un choix s’offre à nous. Nous pourrons reprendre le cours de nos existences bien réglées, comme si de rien n’était. Nous aurons à coeur de soutenir les efforts de nos enfants, afin qu’ils rattrapent les cours non suivis.
Sans doute ferons nous notre possible pour que cette crise sanitaire majeure qui a menacé l’existence et la santé de nos parents, nos enfants, nos voisins, nos amis, soit au plus vite oubliée. Mais une autre possibilité s’offre à nous: peut-être que ces évènements dramatiques pourraient susciter en nous, comme un sursaut, l’idée que rien ne sera désormais comme avant. Et si, amis lecteurs, nous profitions de cette période de confinement pour réfléchir à notre propre implication dans la vie de nos proches, de nos voisins ?
En temps normal, nous partons tôt le matin et ne regagnons nos logements, pour la plupart d’entre nous, qu’en fin d’après midi ou en début de soirée. Et le weekend ma foi, est souvent rempli par les rendez-vous sportifs, amicaux, familiaux, les courses, le rugby du cadet, la séance de cinéma avec les amis, etc. Et si nous décidions, dès aujourd'hui, de prêter attention à ce qui se passe chez nos voisins et pas superficiellement, pour satisfaire aux convenances ? Mr Untel et ses 86 printemps fatigués qui répond invariablement “ça va bien” à nos salutations empressées, comment se porte t-il au fond ?
Avec Mme Truc, qui arbore cet air triste en permanence, pourra t-on se contenter d’un “bonjour, bonsoir” faussement cordial, entre deux portes ? J’en suis intimement convaincue, cette période de confinement que l’on nous impose et que l’on s’impose pour la bonne cause pourrait être l’occasion d’une introspection salutaire. L’occasion de décider, en notre for intérieur, que nous ne resterons pas toujours chez nous et garderons un oeil chez les autres, non par curiosité malsaine ni pour s’en faire forcément des amis, mais pour renforcer, simplement, nos liens d’humanité. Nous en sortirions assurément grandis.
Djamila KAOUES
2 - Restez chez vous
Depuis plus d’une semaine, notre gouvernement a mis en place un confinement presque généralisé dans notre pays. Tous ceux qui sont en possibilité de le faire sont tenus de demeurer à domicile, les commerces à l’exception de ceux dédiés à l’alimentation et quelques rares entreprises, ferment, ainsi que les écoles, collèges, lycées et universités.
Pour la plupart d’entre nous, c’est une expérience inédite, assez sidérante, qui nous oblige à mettre un frein, du jour au lendemain, à notre train-train quotidien. Dans les réseaux sociaux, les commentaires, souvent à tonalité humoristique, se multiplient. Des messages, images et vidéos souvent hilarants illustrent, en les grossissant à dessein, les agacements, frustrations et chamailleries inévitables que suscite le fait de se trouver confiné malgré soi et presque de façon continue, avec un ou des proches. Les querelles pour les programmes tv ou le menu du jour, les galères du télétravail avec des enfants en bas âge pour qui ce concept est pour le moins obscur, les ados qu’on voudrait mettre au travail et qui s’obstinent à ne rien faire ou en faire le moins possible, le conjoint dont on doit supporter les petites manies.
Autant de situations à priori anodines mais auxquelles la cohabitation permanente donne un caractère particulièrement pénible, du genre à se faire des cheveux blancs avant l’heure. Un regard superficiel sur ces écrits ou vidéos parodiques pourrait laisser croire que cette manière de réagir pèche par une certaine légèreté, voire, si l’on est plus sévère, par son caractère déplacé, si l’on se rappelle que ce confinement est destiné à sauver des vies, pour que chacun d’entre nous ne vienne pas rejoindre la cohorte des malades ou des décédés.
A bien y réfléchir, il me semble que, tout au contraire, l’humour parodique fonctionne ici comme un exutoire commode, pour évacuer la charge émotionnelle que ces événements dramatiques charrient inévitablement. Un autre aspect marquant de ce confinement tient dans la réaction outrée de milliers de gens face à l’imprudence ou l’inconséquence de ceux qui bravent l’interdit, participent à des rassemblements non autorisés et ne respectent pas les règles du confinement, au mépris de leur santé et de celles des autres.
C’est ainsi que le message rester chez vous! fait florès, promu hashtag, il est brandi comme un slogan, répercuté de tweet en tweet, d’un compte Facebook à un autre, relayé de façon pathétique aussi par des appels de médecins ou d’infirmier-e-s qui évoquent l’extrême difficulté de leur mission et la nécessité pour chacun d’entre nous de les y aider, en respectant strictement la règle du confinement.
Alors....Restez chez vous! c’est le cri qui jaillit, de toutes parts! Je souscris à cet appel, ô combien ! Comment pourrait il en être autrement? Restez chez vous, restons chez nous, reste chez toi et on l’aura à l’usure, ce foutu virus. Soit. Mais là, encore, je le sais, je compte parmi les privilégiés -privilège relatif mais privilège quand même ! Ok, je reste chez moi. Je partage un grand appartement avec mon fils, ce n’est pas un calvaire.
Pourtant, même si je me reconnais -un peu- dans les caricatures publiées ici et là, un malaise profond m’habite lorsque le sujet du confinement est évoqué, et il l’est constamment en ce moment, évidemment. En effet, je songe à ceux pour qui être confinés signifie bien autre chose que ces petits agacements du quotidien. Ceux pour qui cohabiter revient à partager 20 m2 à 3 voire plus. Ceux et celles, surtout, qui craignent bien davantage celui qui partage leur confinement que le virus lui-même. Et qui, comble du désarroi, savent ne pas pouvoir compter aussi aisément, en cas de nécessité, sur les secours, comme cela est le cas en temps normal (et encore, avec les dysfonctionnements que l’on sait !).
Ainsi, au hasard de mes lectures sur Twitter, je suis tombée il y a quelque temps sur un message pathétique, que l’auteure a adressé à ses abonnés, mais aussi à des responsables politiques, à commencer par la secrétaire d’Etat en charge de l’égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa. La jeune femme à l’origine du tweet évoquait le cas d’une femme dont les cris de terreur remplissaient la cage d’escalier. Un cas d’autant plus pathétique que le couple concerné, dont la femme était battue par son compagnon, vivait là avec ses enfants, spectateurs impuissants du drame. Cette évocation me permet de mettre des mots sur le malaise que je ressens à la lecture des journaux de confinement, écrits par des personnalités qui font état de leur états d’âmes et étalent avec une grandiloquence qui frise le ridicule, les perturbations que le confinement a généré dans leur existence bourgeoise, empêchés d’aller au théâtre ou d’assister à des réceptions, diantre!
Heureusement, il leur reste, à ces malheureux, le style et une plume acérée. Plus sérieusement, pour la plupart d’entre nous, Français de classe moyenne, le confinement, pour pénible qu’il puisse être parfois, est une expérience qu’il nous est possible de rendre largement supportable. Aussi, je songe aux femmes victimes d’un compagnon violent. Hier, elles faisaient encore la une des médias avec le mouvement Mee Too et devraient être oubliées du jour au lendemain? Comme si leur cause, brandie comme prioritaire il y a peu, devait subitement être éclipsée par l’actualité d’un virus. Je songe donc à elles dont je n’ose imaginer le calvaire et les angoisses, dans la situation de confinement avec leur bourreau. Je songe aussi à ceux pour qui, du fait de leur très jeune âge, la notion de confinement n’est certes pas aisée à saisir.
Surtout lorsque leur quotidien n’est pas des plus sécurisants et que l’école représente un refuge contre leur propre famille. Je le sais, ils existent, j’en ai beaucoup (trop) connus en tant que prof. Quid des femmes battues, alors, des enfants maltraités ? Ces sujets, que la triste
actualité du virus me permet de rappeler, ne sont évidemment pas nouveaux. Mais ils revêtent une gravité particulière qu’il convient de ne pas omettre, sous couvert de confinement. Et quid des sans domiciles fixes, qu’on a vus, pour certains, interpellés par la police pour non-respect du confinement ? Quand l’ironie le dispute au grotesque !
Il nous aura fallu la crise des gilets jaunes pour prendre conscience de la galère que vivent au quotidien certains de nos concitoyens, brisés par la précarité. Alors oui, rappelons le, les SDF sont dans une prison à ciel ouvert, les femmes victimes de violences sont sans doute plus en sécurité dehors que chez elles, certains de nos petits voisins ou élèves rêvent d’école plus que de vacances, pour un temps de répit. Ces faits invitent à considérer la notion de confinement d’un oeil nouveau, n’est- il pas vrai?
A suivre...
Djamila KAOUES
1 - Depuis mon appartement où je suis confinée, à l’exemple de millionsd’autres personnes, j’ai ressenti le besoin d’écrire. Il s’agit moins de poser un quelconque diagnostic -social, politique ou autre- sur la situation exceptionnelle que l’on vit, que de partager des ressentis, des réflexions, en lien avec mes engagements et d’inviter à d’autres.A cette fin, je vous adresse ce petit texte qui sera certainement suivi d’autres billets, le temps que durera ce confinement. J’ose espérer que mes questionnements ne disparaîtront pas avec le coronavirus. En tout état de cause, mon regard sur de nombreux sujets et thèmes sur la vie en collectivité, ses attendus et modalités, risque fort d’être chamboulé par ces moments graves que nous vivons. Au-delà des prises de conscience nées de cette introspection, il me semble nécessaire de contribuer, à mon petit niveau, à penser autrement le monde après le coronavirus.
Confinée chez moi, à Vierzon, je tente de résister à la tentation du visionnage en boucle de programmes dédiés au coronavirus, sur Internet ou les chaînes de télévision en continu, avec leurs successions de chiffres, de calculs, de courbes et de prédictions plus ou moins morbides, voire apocalyptiques. Par moments, je n’y résiste plus et j’absorbe littéralement ces informations, avant de m’en détacher, avec peine. De fait, je me sens accrochée, comme peut l’être mon pré-ado de fils, Marwan, derrière sa console de jeux.
Dans ces moments, je passe d’une chaîne à l’autre, les yeux également rivés sur mon écran d’ordinateur, histoire de ne louper aucune information, chacune ou presque étant présentée comme inédite et de première importance. Dans le même temps, j’échange avec mes amis, ma famille par téléphone, afin de m’assurer de leur santé...et qu’aucune information essentielle sur le virus ne m’ait échappé. Comme si ces connaissances m’étaient indispensables pour parvenir à l’affronter. D’une certaine manière, c’est bien l’angoisse de ne pas savoir qui me (qui nous ?) mine.
Derrière ces données chiffrées, sur telle ou telle région du monde, évidemment, ce sont des hommes et des femmes qui se cachent. On le sait sans se l’avouer, mais on le saisit beaucoup mieux quand on apprend qu’un membre de sa famille est atteint du Covid-19 et qu’il a été admis, après un incident grave, aux urgences. C’est mon cas. Et là, on ne prend pas seulement la vague, c’est un tsunami, le monde qui s’écroule sous nos pieds. Pour ma part, en apprenant que ce proche a été atteint d’une forme sévère de la maladie, en dépit de sa jeunesse, j’ai ressenti avec une brutale matérialité la vérité de ce virus, décrit comme « invisible » bien qu’omniprésent. Autre aspect curieux, j’ai ressenti physiquement tous les symptômes connus et décrits douloureusement par ce proche, comme si j’avais envie de partager aussi un peu de sa détresse et de sa souffrance. Des sueurs, un sentiment d’oppression, une respiration introuvable.
Nous sommes dimanche 22 mars 2020, Il est presque 2h du matin et pour donner du sens à ces moments vécus, je tente de remplir ces heures sans sommeil, comme pour reprendre un peu du souffle de la vie. Etonnement, confinement ne rime pas avec isolement pour moi, bien que, de fait, je partage seule mon appartement avec mon fils. Quel rapport au fait, ai-je noué, avec la solitude ? Ces dernières années d’hyperactivité ont- elles pu exprimer, d’une quelconque façon, la peur ou le refus de la solitude ? Ou au contraire, ne suis-je pas satisfaite au fond, de ce rendez-vous trop souvent manqué avec moi-même ? Ce temps suspendu me semble en effet l’occasion d’une nécessaire introspection, d’une réflexion sur ce qui constitue, au fond, l’essentiel.
Mes pensées alors se remplissent de l’évocation de ces vies sacrifiées,
gâchées, ces malades qui luttent, ces soignants envoyés sur le front sans armes ni munitions, ou presque (puisqu’il nous faut filer la métaphore guerrière), de tous ces caissiers, ces livreurs, ces éboueurs, ces policiers, ces pompiers qui ne peuvent se permettre le luxe du confinement et qui luttent, dans cet environnement hostile, pour nous et pour toutes les personnes vulnérables. C’est aussi pour eux, que, de façon bien plus modeste, j’ai envie de prendre la plume.
Chaque jour, à 20h, je suis au rendez-vous, pour vivre un moment de communion avec tous mes concitoyens, et au-delà, ces gens qui, en maints endroits du monde, frappent à l’unisson dans leurs mains, pour remercier et encourager ceux qui se battent pour nos vies. Interpeller aussi, leurs gouvernants sur leur sort, sur notre destin collectif. Applaudir, oui, pour rendre hommage, et leur dire, du fond du cœur à quel point notre fierté est grande et notre reconnaissance, immense. Depuis que j’ai appris pour ce proche malade, ce moment revêt pour moi une intensité toute particulière.
Pour autant, il ne s’agit pas de romantiser ce drame collectif, car il y a des centaines de morts, impossible de l’oublier. Et ces hommes et femmes d’exception n’entendent pas être héroïsés, car cela reviendrait à dépolitiser leurs revendications. Et donc, les passer sous le boisseau. Il est question simplement de les remercier car ne pas le faire serait obscène. Et d’amplifier, par le son décuplé de nos applaudissements, leurs voix en faveur de conditions de travail décentes. Enfin ! Mais dans ces émotions qui m’animent, il y a aussi une infinie colère. Et c’est cette colère, aussi, que j’ai envie d’exprimer. Contre un modèle économique si peu humain qui a brisé un système de santé qui faisait notre fierté il y a 20 ans seulement (20 ans, c’est hier !), puisque nous caracolions fièrement, en tête des classements mondiaux dans ce domaine. Colère et tristesse face à ces choix de vie, ces choix contre la vie, au nom de prétendus impératifs économiques dictés par l’économie mondialisée, la real politique et autres fadaises qui justifieraient, soit-disant, de telles atteintes normalisées aux droits élémentaires des humains. La pandémie que l’on vit est bien, assurément, la résultante de ces attaques répétées à l’humain, à l’écologie, et au futur de nos enfants que l’on foule du pied.
Djamila KAOUES