Non, la presse, en général, n'oublie pas le contexte dans lequel est né le mouvement des gilets jaunes. Il n'y a qu'à lire, par exemple, le récent carnet de bord de Florence Aubenas, dans Le Monde ou les articles du Berry républicain parlant des GJ sur les ronds-points du département.
Combien d'émissions de télé ont donné la parole aux GJ ? Combien sont-ils à s'exprimer dans la presse ? Ils le font. Et à partir du moment où ils le font, leurs propos et leurs actions sont critiquables, comme ils critiquent l'action du gouvernement et les propos du chef de l'Etat. C'est le propre de la démocratie. La presse peut et doit à la fois, rendre compte des revendications, des avancées qui ont cours grâce au GJ, mais aussi des violences, des incohérences parfois.
Les journalistes sont indépendants parce qu'ils ont, comme les GJ, une conscience. A chaque fois qu'une critique fuse, de la part des GJ, la même question est posée : "lisez vous la presse" ? Réponse : non, plus, sûrement pas... pour la majorité des réponses.
Comment peut-on reprocher que la presse appartienne à des groupes, industriels entre autres, si personne n'achète cette même presse, si les lecteurs ne sont pas les acheteurs ? Si l'information est considérée comme un dû. L'indépendance de la presse sera d'autant plus vraie si on achète de la presse, si l'on fait ce geste militant de payer pour être informé.
Plus elle sera achetée par ses lecteurs, moins elle sera dépendante de groupes qui, eux, seuls, aujourd'hui, ont les moyens d'investir. Sans ces groupes, combien de journaux n'existeraient plus ? Dans le Cher, il y avait jadis deux journaux locaux, il n'en reste plus qu'un car le second n'avait plus les moyens de maintenir son édition. La presque totalité des départements est dans ce cas-là.
Internet a bousculé le fragile équilibre des journaux qui restent, l'information est disponible rien qu'en se baissant pour la ramasser. Sauf que pour l'amener jusqu'aux lecteurs, il faut la collecter, la vérifier, la croiser, la recouper, la mettre en forme. Pour cela, il y a les journalistes comme il y a les maçons qui font un mur, les charcutiers qui font les rillettes.
Quant au traitement médiatique, les gilets jaunes agissent comme les critiques qu'ils font à la presse : ils aimeraient lire ce qui les arrangent, voulant mettre ce qui les dérangent de côté. Qu'ils se rassurent : les élus sont pareils. Quand leurs chaussures brillent sous le cirage médiatique, ils sont heureux.
Mais quand la brosse n'est plus à reluire, ils mettent la liberté d'expression dans leur poche, leur mouchoir par-dessus et agissent comme des petits marquis à qui l'on doit tout. Y compris les honneurs permanents de la presse. Ce sont les mêmes qui sont Charlie et qui qui clouent des journalistes au pilori pour une phrase qui leur déplaît.
Imposer sa version des choses à la presse, c'est déjà piétiner son indépendance. Il ne faudrait donc parler que des gilets jaunes victimes et ne pas parler des forces de l'ordre, par exemple, dont certaines aussi sont victimes ? Il ne faudrait donc traiter l'information que du côté des gilets jaunes, pas des forces de l'ordre, ni des commerçants, ni de ceux qui sont contre, ni du côté du gouvernement ?
Mais alors ce traitement ne serait pas objectif, il ferait plaisir aux GJ mais il ne serait ni objectif, ni indépendant ? Les gilets jaunes parlent de calomnies car la presse n'écrit pas ce qu'ils veulent ?
Et quand les GJ tentent de "chasser" des journalistes alors qu'ils sont sur la voie publique, quand les mêmes insultent les journalistes, quand ils assimilent la presse, y compris locale, à des ennemis, complices du gouvernement, ou à des ennemis de classe, où est l'objectivité que les GJ réclament de la presse quand eux-mêmes se livrent à ce genre d'acrobatie intellectuelle ? Les GJ reprochent le "buzz" des médias mais si ce "buzz" était du à l'action des GJ, en feraient-ils toujours le reproche ?
On peut entendre la souffrance des gens, leur ras le bol, le mépris qu'ils ressentent face à des politiques déconnectés, mais quand on lit, sur une page locale, au moment de l'attentat de Strasbourg que le gouvernement aurait créé de toutes pièces cet attentat pour mettre les GJ au second plan, il n'y a plus ni objectivité, ni indépendance, ni même rationalité de la part de certains. Quand on nous tient un discours sur les migrants, on est loin du pouvoir d'achat. L'outrance est ainsi partout, y compris dans les rangs de ceux qui la dénoncent.
Et quand on prône la démocratie, comme c'est le cas, quand on veut l'enrichir, on n'interdit pas aux journalistes de rendre compte de ce qu'ils voient, même quand vous n'êtes pas d'accord avec le compte-rendu. On ne prône pas le droit à l'image en prenant en photo un journaliste pour le mettre "wanted" sur les réseaux sociaux.
On ne peut pas réclamer la liberté d'information en demandant aux médias de ne relayer qu'une partie des choses. On ne se revendique pas du peuple en se prenant pour ses dirigeants, en rétablissant la guillotine même factice, en mimant une décapitation même sur un mannequin, en cultivant l'insulte, en s'emparant de symboles violents qui sont, justement l'antithèse d'une démocratie. Ce sont autant de tâches sur la légitimité des revendications. Les GJ ont obtenu en un mois, plus que les syndicats en vingt-cinq ans. Ce n'est pas rien.
Enfin, on ne souhaite pas l'objectivité des uns tout en assumant son contraire pour d'autres. Il faut de la rationalité et, sur le terrain, parfois, il y a un manque de rationalité. Alors, traiter les journalistes de facho collabo, devant le siège de France Télévision, n'est pas une façon saine d'aborder une autre façon de pratiquer la démocratie.
La liberté, l'égalité, la fraternité, c'est le socle, on est d'accord. Le respect des autres, pour ce qu'ils sont, pour ce qu'ils font, même s'il y a des désaccords, c'est essentiel. "Porter un gilet jaune, c'est un honneur", lit-on. "Pourquoi n'en parlez-vous pas ?" Parce que ce n'est pas une information. Ce n'est pas non plus la vérité. C'est une vérité. Une vérité parmi d'autres.