Gérard Larpent vient de sortir un polar intitulé La jeune qui avait voulu voir Vierzon. Originaire de Soulangis, près de Bourges, il y est revenu pour sa retraite après une carrière de journaliste. Celle-ci a commencé dans la presse départementale, dans les Ardennes. Il a ensuite travaillé plusieurs années pour le journal Sud-Ouest avant d'occuper divers postes dans la presse économique nationale, hebdomadaire ou mensuelle.
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Pourquoi avoir choisi Vierzon comme thème central de votre livre ?
J'écris des romans policiers qui me permettent de parler de ma région, le Berry, en essayant de dépoussiérer son image et de montrer que malgré sa position géographique centrale, loin des frontières, elle n'est pas moins concernée que les autres par tous les courants telluriques qui secouent le monde. Cette région a plusieurs facettes : agricole, militaire, industriel... Vierzon en est une. Par ailleurs, je participais en 2018 au septième salon du livre de Vierzon dont l'invitée principale était France Brel, la fille du grand Jacques. Durant toute la journée, la chanson Vesoul m'a trotté dans la tête. Elle m'a inspiré ce jour-là le titre La jeune fille qui voulait voir Vierzon mais un titre ne fait pas un livre. C'est la lecture deux mois plus tard, d'une enquête sur la prostitution des mineurs qui m'a donné l'idée du sujet. Je me suis dit que j'avais là mes deux premières briques.
Et encore plus précisément, son passé industriel ?
Je me suis toujours intéressé à l'histoire industrielle. Aux modifications que les usines ont apporté dans les villes où elles s'implantaient. L'aventure de Célestin Gérard et de la Française à Vierzon est un cas d'école.
Qu'est-ce qui vous fascine dans cette histoire et dans cette ville ?
Plus encore que l'aventure économique de la Française ou de toutes les industries alentour, le verre, la porcelaine etc. Ce qui me passionne ce sont les changements que ces activités ont apporté aux villes, tant dans le domaine urbanistique que social, culturel, sportif. Cela va des cités ouvrières aux bistrots installés à la porte des usines ou aux équipes de foot corpo. Car derrière tout cela il y a des hommes et des femmes, tous ces gens de peu oubliés des livres d'histoire et qui en sont pourtant la matière première.
Quel regard portez-vous sur cette ville finalement atypique ?
Vierzon est une ville "entre". Entre le Berry et la Sologne, entre la grosse bourgade et la petite ville, entre la route, l'eau et le rail, entre la nostalgie d'un passé révolu et un avenir à inventer, entre la répulsion et la séduction. Pour la connaître il faut se glisser entre les planches d'une barricade afin de découvrir ce qu'il y a réellement de l'autre côté. Si je devais invoquer Jacques Brel pour en parler, je ne citerais pas Vesoul mais plutôt Je suis un soir d'été et ces vers :
La ville aux quatre vents
Clignote le remords
Inutile et passant
De n'être pas un port
Vous qui connaissez bien le sujet, Vierzon a-t-elle réussi sa reconversion économique, notamment depuis le départ de la Case en 1995 ?
Je me garderai bien de donner des leçons à qui que ce soit. Il est facile de réécrire l'histoire vingt-cinq ans après. Pour autant, ayant eu l'occasion d'effectuer plusieurs reportages sur cette reconversion, j'ai eu l'impression que la ville manquait parfois d'audace. Combien ai-je vu de conseillers en développement ou en aménagement du territoire qui "descendaient en province" pour venir expliquer comment ils allaient aider telle ou telle ville à "imaginer son avenir". En réalité, sur la base d'idées toutes faites ils ne faisaient que plaquer des recettes qui avaient pu réussir ailleurs mais correspondaient rarement aux territoires sur lesquels ils intervenaient. Oubliant d'écouter les habitants ils ne faisaient que reproduire les principes d'une économie libérale dont on voit les limites aujourd'hui. Alors qu'il y a tant de choses à inventer dans l'industrie comme dans l'agriculture mais aussi dans le social et la culture. Pour cela il faut faire des efforts, écouter les gens et faire preuve d'imagination voire de folie.
Pensez-vous que Vierzon est une ville à polar ?
N'importe quel lieu, même le plus banal, peut devenir le cadre d'un polar. Cela dépend du regard que l'on porte sur lui. Voyez le film Roubaix, une lumière de Arnaud Desplechin. Roubaix n'est ni Paris, ni Marseille. Pourtant Roschdy Zem compose là un rôle de flic des plus forts qu'il m'ait été donné de voir au cinéma ces dernières années. On peut trouver d'autres exemples dans les romans policiers d'Hervé Le Corre quand il parle des bords de la Garonne ou de Jean Vautrin avec la Beauce qu'il décrit dans Canicule. Mais Vierzon en plus est un carrefour. Carrefour ferroviaire et autoroutier, carrefour entre le passé et le présent. On peut donc y croiser toute sorte de gens et d'histoires. Pour toutes ces raisons je crois que je n'en ai pas fini avec cette ville.
Quelle part de réalité avez-vous injecté dans votre fiction ?
Avant d'écrire ce roman j'ai beaucoup lu de documents sur l'histoire de la ville et notamment sur Case. J'ai consulté la presse locale, des livres, des études de sociologie sur le monde ouvrier. J'ai visionné les archives cinématographiques de témoignages. Tout cela m'a beaucoup aidé pour raconter le conflit social qui sert d'élément déclencheur dans mon livre, montant des primes de licenciement compris.