
L'image est symbolique : 24 ans après la manifestation de soutien des Vierzonnais aux derniers 250 salariés de la Case, d'autres Vierzonnais ont fait le chemin inverse pour l'hôpital, cette fois-ci. Vierzonitude a retrouvé la photo de 1994 et l'a superposé à celle de ce samedi 16 juin 2018.

Dans la marche blanche de ce samedi matin, Sandrine Banderier, aide-soignante à l'hôpital de Vierzon depuis février 2002, avait, en elle, une pensée particulièrement émue quand elle a foulé le pont Molière, une émotion qui convoquait sa fibre familiale, toute tournée à cette heure-ci vers son père, Alain, et qui vibrait aussi au diapason d'une grande partie de l'ADN vierzonnais.
Vingt-quatre ans plus tôt, son papa cheminait de la même façon, en sens inverse c'est vrai, mais pour une raison similaire : empêcher, même si tout le monde savait que c'était inéluctable, la fermeture de Case, annoncée en mars 1994, comme un coup de tonnerre ainsi que le licenciement des 250 salariés. Inacceptable dans une ville qui n'avait pu que constater le délitement de son industrie depuis plusieurs décennies. Et puis, Case, ce n'était pas rien dans le coeur de cette ville, remplacée aujourd'hui par l'hôpital.
Alain est un Vierzonnais de naissance. Il a d'abord bringuebalé sa bosse de la restauration sur Paris avant de revenir à Vierzon, aux racines. Il y trouve quelques petits boulots dans la métallurgie, et en 1974, il postule à la Case comme ouvrier avant de devenir soudeur. C'était l'époque où la grande maison, cette forteresse de sept hectares en centre-ville, ceint de hauts murs et d'un large portail, était l'Usine où les générations se croisaient, où l'emploi permettait encore de se trouver une place.

Près d'un quart de siècle plus tard, la marche blanche qui a rassemblé plus de deux mille personnes, ce samedi 16 juin, rentre en résonance avec la grande manifestation de soutien à la Case, cinq à six mille personnes sous un ciel pluvieux, du jamais vu depuis mai 1968, à Vierzon. Une mobilisation comme les gens d'ici ont le secret, massive et déterminée, compacte et vitale.
Pour Sandrine, c'est évident : "J'ai le sentiment de revivre 24 ans en arrière ce que mon père a vécu avec notre mouvement de grève." La Case ferme, Alain est licencié à l'âge de 43 ans. Sandrine en a 42. Tout fait écho au passé, le poids des responsabilités, la fragilité d'une structure même si c'est un hôpital, le couperet d'une tutelle qui décide, au nom de la rentabilité, de faire un sort à un service plus qu'à un autre. Cette même dictée de circonstances qui a conduit la direction de Case, en 1994, à couper la branche vierzonnaise au détriment d'autres sites plus rentables. Sandrine trouve-t-elle des similitudes entre la manifestation de 1994 et la marche blanche de 2018 ?
"Oui et non. Oui, car tous les deux (NDLR : elle et son père) nous avons le même combat : sauver notre emploi. Et non, car mon combat se situe sur le plan de la santé. Nous ne pouvons pas perdre nos services, ce qui entraînerait la perte de plusieurs vies ainsi que des emplois. Ce n'est pas envisageable de ne plus avoir d'hôpital à Vierzon avec environ 30.000 habitants et son bassin".

C'est ce que les Vierzonnais, à une autre échelle et à une autre époque, disaient de la Case... Cette Usine a poussé en 1847, face à une ligne de chemin de fer qui arrive plus tard, cette petite graine plantée par Célestin Gérard pour devenir un empire du machinisme agricole, du tracteur et plus tard du matériel de travaux publics, ne pouvait pas ne plus exister à Vierzon, devenir silencieux, sans vie, un vide, une friche, rien. Impossible pour celles et ceux qui avaient toujours connu ce mastodonte ouvrier entre la gare et le canal de se faire une raison : Case ne pouvait pas être engloutie de la sorte.
Forcément, Alain a très mal vécu la fermeture de l'usine. "Il rentrait du travail et de ses journées de grève en pleurant. J'ai vu mon père en larmes, ce qui nous a affecté, nous, les quatre enfants et ma mère. Il avait tout donné à Case", explique Sandrine qui vit aussi très mal cette période d'incertitude à propos de la maternité et du bloc opératoire. "Je le vis très mal car je suis née à la maternité, ma fille est née également à la maternité. Ma famille a subit des interventions au bloc. De ma vie privée comme soignante, je ne peux pas concevoir un hôpital sans les services dont la population a besoin."

La fermeture de Case a été un choc terrible pour les Vierzonnais. La probabilité que la maternité puisse fermer aussi répond aux mêmes mécanismes de colère et d'hostilité envers ceux qui seraient amenés à prendre cette décision, non seulement injuste, mais dangereuse. Comme la Case, les Vierzonnais ont toujours connu ce bloc monolithique qu'est l'hôpital qui parvient à changer d'adresse sans changer de lieu : la rue Karl-Marx, là où tant de Vierzonnais sont nés, devient la rue Léo Mérigot, du nom d'un ancien maire de Vierzon et surtout chirurgien à l'hôpital.
Sandrine est certaine que ce combat-là, celui des Case, des backhoes en travers des voies ferrées, est encore dans les têtes. "Moi la première en manifestant et en passant sur le pont (NDLR : Molière) et remonter cette rue de la République, j'ai pensé à mon père et ses collègues. Cette semaine, certaines personnes m'ont interpellé, justement, lors de nos mouvements, ils me disaient : "j'ai l'impression de revivre ce qu'on a vécu avec la fermeture de CASE"
Case était cependant une entreprise privée. Une fermeture, pure et simple,serait-elle un jour possible pour un établissement public comme l'hôpital ? Sandrine "ne l'espère pas", pour elle, "ce n'est pas envisageable." Alors, quand cinq mille personnes descendent dans la rue, en 1994, quand plus de deux mille personnes marchent ensemble pour l'hôpital de Vierzon en 2018, Sandrine en ressent forcément les effets.
"Nous avons eu une semaine éprouvante et chargée d'émotions, cette marche avec les agents hospitaliers et la population nous a renforcé dans l'idée qu'on ne lâcherait pas. Nous sommes déterminés. C'était énorme de voir les Vierzonnais mobilisés pour nous soutenir et soutenir leur hôpital."

Suite à un imprévu, Alain, le papa de Sandrine, n'a pas pu venir, ce samedi matin, à la marche blanche. Mais ses parents la suivent, notamment sur les réseaux sociaux et ils la soutiennent dans toutes ses actions.
Qui aurait dit qu'un jour, Sandrine suivrait symboliquement les pas de son père en empruntant un chemin similaire ? Qui aurait dit que la fille mènerait finalement le même combat que son père et que la portée symbolique de l'un et de l'autre, composaient la fibre de Vierzon, battaient dans la poitrine de chacun, faisaient sortir les gens de chez eux pour servir de rempart à des décisions absurdes ?
C'est à la fois la triste histoire de Vierzon et le solidaire destin d'une population soudée dans une sorte de fatalisme et d'adversité. La Case n'a pas survécu malgré tout. On se dit aussi, pour se persuader, que c'est impossible d'imaginer Vierzon sans son hôpital. Mais en 1994, qui aurait imaginé Vierzon dans la Case ?

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Retour vers le futur : revivez les manifs contre la fermeture de Case ! - Vierzonitude
C'est une sacrée histoire que celle-ci. Mars 1994 : Case Poclain annonce la fermeture du site de Vierzon et le licenciement des 250 derniers salariés. S'en suivent des manifestations monstres qi ...