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Vierzonitude

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Le fils de Roland Moisan, caricaturiste au Canard Enchainé : "la caricature est un étendard de la liberté d'expression mais elle n'est pas la seule"

Publié par vierzonitude sur 28 Octobre 2020, 16:13pm

Paul-Henri Moisan est le fils de Roland Moisan, célèbre caricaturiste au Canard Enchainé qui a passé son enfance entre Asnières-les-Bourges et le lycée Henri-Brisson de Vierzon. Pour Vierzonitude, Paul-Henri Moisan qui était venu à Vierzon, lors d'un débat au cinéma, avait accepté d'évoquer l'attentat de Charlie-Hebdo, le métier de caricaturiste de son père entre autres. L'interview date de 2015.

Moisan publia chez Jean-Jacques Pauvert, avec Roland Bacri, le Petit Poète du Canard, décédé il y a peu de temps, un livre intitulé "Les 32 Impositions" présentant les thèmes de nos impositions fiscales avec des dessins suggestifs. Il fut bloqué par la censure et vendu exclusivement dans les sexhops. Une autre série de livres faillit être censurée par les ministres dont celui de l'intérieur de De Gaulle en 1965/66 : "La Cour, Le Roi, Le Règne" aux éditions Julliard. De Gaulle refusa la censure avec cette réflexion : "Si l'on censure ce livre il se vendra sous le manteau, et je n'aime pas être vendu sous le manteau" Ces livres furent chacun des best sellers.

Roland Moisan, caricaturiste au Canard Enchainé, fut élève au lycée Henri-Brisson.

Roland Moisan, caricaturiste au Canard Enchainé, fut élève au lycée Henri-Brisson.

Vous, fils de caricaturiste célèbre, et plus qu'impertinent, dans quel état d'esprit vous laisse l'horreur du drame de Charlie-Hebdo ?

Mon état d'esprit est que je pense la même chose que les millions de gens qui ont réagi à cet horreur. Mais nous vivons dans un siècle de violence qui englobe le monde entier. La télévision est violente, les films ne montrent presque toujours que la violence, surtout pour les jeunes. Chaque siècle a son type de violence, avec l'âge la peau se tâne et comme disait Esope pour la langue " l'homme est la meilleure et la pire des choses".

Pensiez-vous, jusqu'à présent, qu'en France, on pouvait mourir pour un dessin ?

Oui il est possible de mourir pour un dessin. En 1936, Sennep à falli mourir pour un dessin mal digéré par les amis de Léon Blum, Avec l'"Assiette au Beurre" beaucoup ont failli y passer, Daumier fut emprisonné, Ralph Soupaut de "Je suis Partout" le monstre d'extrême droite, hyper collabo, qu'est-il devenu à la Libération ?

Votre père a-t-il, en son temps, quand il dessinait pour le Canard Enchaîné, eu des craintes pour sa vie ou sa liberté ?

Je ne sais pas si Moisan a craint pour sa vie, sauf sans doute dans la période 1940/1943.  Après sa démobilisation en août 1940, à Istres, il revint à Saint-Florent nous rechercher, ma mère, mon frère et moi. Avant 39, date de sa mobilisation, Moisan dessinait politiquement dans le Merle Blanc, sorte de Canard Enchaîné, et fournissait d'autres dessins d'humour dans d'autres journaux comme l'Œuvre, le Petit Parisien, le Rire, etc... De retour à Vanves en novembre 1940, le Merle Blanc s'était sabordé, seuls l'Œuvre et le Petit Parisien, contrôlés, subsistaient. Moisan refusa le dessin politique, mais à sa manière satirique, il décrivit la vie compliquée des Parisiens sous l'occupation, jusque fin 1942, date charnière et obscure : juillet la rafle du Veld'hiv, novembre Stalingrad, débarquement des Alliers en Afrique du Nord d'où envahissement des Allemands du Sud de la France et surtout le ratage, pour eux, de la prise de la flotte Française à Toulon (Elle se saborde).
En ce début 1943, par l'Education nationale, (ma mère prof de math) nous sommes envoyés â Gray (Haute Saône) comme réfugiés ("famine" sur Paris) et Moisan nous rejoint après, car le dessin satirique + le STO il n'est plus bon de rester sur Paris. Nous y restons jusqu'en début 1945. Après le passage de l'Armée Delattre. Retour sur Paris et reprise du dessin et du journalisme écrit dans Objectif (cinéma) et le Parisien Libéré (collaboration humour, jusqu'en 1960). Puis dans Carrefour hebdo de Amaury. (politique et humour).
Au Canard, il ne sentit jamais le poids de la justice ou de contestataires violents. Il faut dire qu'il pouvait être dur dans ses dessins mais jamais trivial, même ses dessins critiques sur les religions. En fait, il ne critiquait pas la religion, mais les religieux. Egalement les politiques, les syndicalistes, etc... Certains aimaient être caricaturés, particulièrement Pompidou. Giscard n'aimait pas.

Comment votre père portait-il la liberté d'expression ?

 Il utilisait complètement sa liberté d'expression mais n'insultait pas. Auto control sans doute, mais sûrement éducation. Il aimait l'échange, la confrontation, mais avec un verre de Pastis 51 bien plein. Et souvent renouvelé.  Il portait sa liberté d'expression avec son éducation. Ses limites devaient se trouver instinctivement en lui. Il n'était jamais trivial, même avec des sujets scabreux, religieux, politiques. Un boxeur qui ne touchait jamais en dessous de la ceinture, mais au-dessus il était parfois cinglant. Je crois que chaque dessinateur, comme chaque journaliste, écrivains, peintre, a son style, son esprit, sa façon de voir le monde. A chaque époque les artistes ont eu leur vision : Velasquez, Goya, Lautrec, que n'a-t-on pas dit sur les impressionnistes en leur temps. Et les musiciens comme Berlioz, Mozart, Stravensky, même Beethoven l'immense. La liberté d'expression a toujours été battue en brèche par les pouvoirs, de gauche (Staline) comme de droite sans être forcément d'extrême. Les écrivains aussi ont payé au temps des religions Chrétiennes, voltaire par exemple. Certains ont été brulé sur des bûchés. Tant qu'il y aura des hommes...

Comment en est-on arrivé là selon vous ?

Il est assez simple de se rendre compte que depuis quelques années l'intolérance a pris une grande importance dans notre monde, de plus la peur de l'autre s'est exacerbée. Le monde grand ouvert vient bousculer nos vies bien conformes, durement gagnées après toutes les épreuves passées, récentes, mais aussi depuis des siècles. L'Europe fut un champ de bataille, la France parfois un lourd cimetière. Maintenant il faut comprendre que notre vie confortable attirera comme un aimant les peuples qui souffrent provoquant des réactions de défense et parfois de haine. L'histoire est pleine de ces réactions depuis l'antiquité.

Vous avez connu Cabu, dites-nous quelques mots sur lui ?

Cabu était un personnage assez timide. Nous nous rencontrions au cours de festivals comme à St Just-le-Martel, ou au Canard. Il m'avait dit un jour qu'il aimait que je réalise des expositions après le décès de mon père, je crois que la mort de son fils l'avait beaucoup marqué. Comme Moisan il n'arrêtait pas de dessiner, il s'exprimait avec le dessin. On sentait sa passion et son regard lucide trouvait toujours la faille dans notre conformisme. J'aimais bien Cabu. Comme Grove à une autre époque.

Aviez-vous connu les autres caricaturistes ?

J'ai connu Wolinski à l'époque quand, comme graphiste, je réalisais des livres de dessinateurs avec Jean-Claude Simoën pour Albin Michel : La Main à Griffe entre autre. Mais, avec l'esprit Canard, je n'accrochais pas à son style plutôt salace qui me dérangeait, bien que je ne sois pas particulièrement puritain. De plus il ne faut pas oublier que depuis Maréchal, créateur du Canard, il est interdit aux collaborateurs du journal de recevoir la Légion d'Honneur, et Wolinski l'avait. Paix à son âme mais cela me gênait quand on est un peu anarchiste, et fortement contestataire.  Je ne connaissais pas les autres, je suis plutôt de l'époque de Reiser, Desclauseaux, Serre, etc...

La caricature est-elle l'étendard de la liberté d'expression selon vous ?

Sûr que la caricature est un étendard de la liberté d'expression mais elle n'est pas la seule, le cinéma joue son rôle, et puis le journalisme texte, le livre toujours présent, par contre j'ai peur que sur internet on trouve beaucoup de n'importe quoi, sans contrôle donc sans valeur réelle et souvent sur seul fondement de rumeurs.
 

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