Le présent est impitoyable avec la nostalgie. Le futur est carrément nostalgicide. Pas question de voir Vierzon uniquement à travers le prisme de ce qu'elle fût. Elle ne se refera pas. Elle ne reviendra pas en arrière. Seuls, les souvenirs des uns et les images anciennes des autres pourront nourrir cette architecture du passé sur laquelle on débat, on regrette, on se fonde une opinion sur les manquements et les fautes.
Il y a une part de fatalité, une dose d'erreurs politiques, un peu de mésestime envers l'avenir, un manque certain de clairvoyance, une absence de confiance, beaucoup d'immobilisme.
Passé ce constat, on peut toujours refaire le match, admirer les photos anciennes, les cartes postales en noir et blanc, édifier des sanctuaires, dresser des monuments à tout ce qui a disparu. On peut tenter de repasser au crayon gras, les lignes effacées, ou celles en pointillé.
On peut soupirer longuement sur ce qui fût, passer sa colère sur ce qui aurait dû être. On peut aussi se résigner, dire sans cesse "mais c'est partout la même chose", non, ce n'est pas partout la même chose car cela signifierait que partout est un ensemble uniforme et lisse. Or, ce n'est pas le cas. A la lumière de ce constat dans lequel chacun prend et laisse ce qu'il veut, la question primordiale est : avancer.
Avancer c'est sûr, mais pas n'importe comment. En mieux si possible. Pas en pire. Il y a eu, il y aura. Les murs, les façades, les vitrines, les rues, les courbes, les routes, les enseignes, les reliefs, les creux, tout bouge avec l'érosion. Mais comme nous sommes d'un temps limité, faits de cette matière éphémère à l'échelle de l'âge d'une étoile ou de la distance d'une planète, il faut donc des résultats rapides. Alors fermons les albums, mettons ce Vierzon-là sur une étagère, comme un trophée.
Et tentons d'extrapoler, de tout se permettre, sans tabou. De démolir aujourd'hui ce qui hier était encore invraisemblable. Parce que Vierzon, finalement, n'avancera jamais dans ce magma informe qu'est le passé recomposé, recomposé par chacun de nous, car nous avons tous une vision parcellaire de ce passé. Brûlons ce qu'on a aimé, sans peur et surtout sans reproches.
Pourtant, au-delà des murs, il y a une respiration véritable. Un autre aspect des choses. Et il faut avoir le courage de briser cette ligne pour s'apercevoir que Vierzon ne changera pas si l'on n'en change pas les formes, le sens des rues, son urbanisme à condition qu'il soit intelligent.
Comme ce fut le cas pour le bâtiment des Nouvelles-Galeries qui regardait la ville depuis trop longtemps. C'est pour cette raison que sa démolition était essentielle, pour donner à Vierzon, ce visage futur, cette autre façon d'être. Sans quoi, nous sommes condamnés entre nos murs qui n'ont aucune valeur.
Il est peut-être temps de ranger les cartes postales, de briser sa nostalgie sur l'envie d'un autre Vierzon. Et d'en imaginer les contours, au-delà de notre propre imagination. Aimer sa ville, ce n'est pas la regarder mourir, étouffer sous son impossibilité à devenir une autre. Aimer sa ville, ce n'est pas tenter de retrouver, comme avec un calque, les lignes d'hier sur celles d'aujourd'hui.
C'est au contraire, avoir le courage de bousculer les esprits. Dans un esprit, d'ailleurs, indépendant de tout bénéfice. Il n'y a que le citoyen qui peut s'acquitter de cette tâche. Aimer sa ville, ce n'est pas la voir couler, à pic, comme un bateau éventrer. Ce qui est malheureusement le cas. Si un sursaut citoyen ne fait pas tomber les murs qui petit à petit se referment sur nous. Alors, il est temps de se mettre au travail.